Entre les publicités mensongères ou trompeuses et la multiplication des labels alimentaires, le consommateur doit se montrer plus méfiant que jamais. D’autant plus que certaines innovations pourtant supposées aider son choix, comme le Nutriscore, contribuent par l’opacité de leur algorithme à semer la confusion.
Cette lessive qui lave plus blanc que blanc. Ce nettoyant ménager « écolo » dans les effluves duquel les insectes et autres bestioles trépassent. Cette crème anti-rides qui n’a d’autre effet que d’hydrater la peau, et encore. Ce complément alimentaire qui vous promet une perte incroyable – car impossible – de poids. Ce voyage all inclusive de rêve, qui se termine dans une chambre sans fenêtre et une piscine sans eau. Ce placement boursier à la fois sûr et hyper-performant, qui vous laisse sur la paille. Ces vêtements d’ultra-fast fashion qui, une fois déballés, requièrent d’acrobatiques contorsions corporelles et mentales pour les faire correspondre au produit vanté par telle influenceuse ou sur le site de telle marque pour ados. Etc. Etc.
Quand les marques flirtent avec la ligne rouge
Véritable fléau pour les consommateurs, les publicités trompeuses ou mensongères sont pourtant formellement interdites par le droit français comme européen. Sachant qu’est considérée comme « trompeuse » une publicité qui vise à induire en erreur sur les caractéristiques, les qualités ou la disponibilité d’un produit ou service ; et qu’est considérée comme « mensongère » une publicité qui présente un produit ou service de manière fausse ou volontairement erronée. En dépit de la sévérité des sanctions prévues par la loi en cas d’infraction – 300 000 euros pour une personne physique, 1,5 million d’euros pour une personne morale, et jusqu’à deux ans de prison –, la pratique est loin d’être marginale et n’épargne pas certaines marques mondialement connues.
En 2020 par exemple, le constructeur de voitures électriques Tesla a été condamné par la justice allemande pour avoir mis en avant, dans le cadre de la promotion de son « Modèle 3 », le concept de « pilote automatique ». Les juges d’outre-Rhin ont estimé que ces messages publicitaires constituaient « des actes commerciaux trompeurs » laissant croire – à tort – au consommateur que le véhicule pouvait se passer de toute intervention humaine. Autre exemple : en 2014, le géant Coca-Cola a été débouté par la Cour suprême américaine pour avoir fait la promotion d’une boisson de la marque Minute Maid « Grenade », alors que le produit ne contenait que 0,3 % de jus du fruit rouge vermillon – la couleur rouge étant obtenue grâce à une grande quantité de jus de raisin, bien moins cher que celui de grenade.
Comme en témoignent les cas précédents, le consommateur – ou l’entreprise, dans l’affaire Coca-Cola – lésé n’est pas sans ressources face à la publicité trompeuse, les multinationales de la voiture électrique et des boissons gazeuses ayant été condamnées à la suite d’une action en justice intentée par leurs clients ou concurrents. En France, les consommateurs peuvent, le cas échéant, se tourner vers la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), vers le Bureau de vérification de la publicité ou encore le Jury de déontologie publicitaire. En dernier recours, tout citoyen peut saisir la justice ou les services de police compétents s’il estime avoir été trompé par telle ou telle publicité. Quoiqu’il en soit, la prudence, pour ne pas dire la méfiance, reste de mise : de nombreuses marques, bien conscientes des risques encourus, ont pris la fâcheuse habitude de flirter avec une certaine ligne rouge.
Confusion sur l’étiquette
Mais les marques petites ou grandes ne sont pas les seules dont le consommateur averti doit se méfier pour éviter l’arnaque. Partant d’une bonne intention, la multiplication des appellations, labels et autres étiquetages préventifs aboutit parfois à l’effet inverse : au lieu d’aider le consommateur à y voir plus clair et ne pas se faire avoir, cette profusion d’informations engendre dans son esprit une confusion supplémentaire. AOP (appellation d’origine protégée), IGP (indication géographique protégée), STG (spécialité traditionnelle garantie : ces indicateurs européens, pas toujours bien identifiés par les consommateurs, s’ajoutent en effet à ceux en vigueur sur le seul territoire français, comme le fameux « Label rouge » ou la plus récente et décriée mention « haute valeur environnementale » (HVE), qui fait concurrence au bio (AB) sans en respecter l’exigeant cahier des charges.
Le constat vaut aussi en ce qui concerne l’étiquetage nutritionnel. Obligatoire depuis des décennies, le traditionnel tableau d’informations nutritionnelles présent sur chaque emballage alimentaire est désormais occulté par le Nutriscore : un logo supposément plus simple à déchiffrer, mais qui a tendance à infantiliser le consommateur par des injonctions à choisir, ou pas, tel ou tel produit. Et ce, sans que l’on sache précisément sur quels critères repose le label. Ignorant la présence d’additifs, le degré de transformation des produits ou encore la notion, fondamentale, de portion, le Nutriscore « peut induire le consommateur en erreur », tempête le député européen Herbert Dorfmann, se faisant l’écho des critiques émises par les producteurs de fromage, de charcuterie, d’huiles ou de beurre.
De nombreux pays européens opposés au Nutriscore
« Résultat », lance Jean-Paul Torris, du groupe laitier Savencia, « des produits ultra-transformés et pauvres en nutriments, riches en revanche d’une longue liste d’ingrédients, obtiennent souvent d’excellents scores alors que leur consommation régulière est déconseillée ». A l’inverse, les fromages, pourtant riches en protéines, minéraux, vitamines et oligo-éléments, écopent pour 80 % d’entre eux d’une note « D ». Bref, alors qu’il ambitionnait de conseiller le consommateur dans ses choix alimentaires, le Nutriscore le détourne de certains produits nutritionnellement riches pour l’orienter vers des produits industriels ultra-transformés et pauvres en nutriments. Une forme de « publicité trompeuse » qui n’a pas convaincu de nombreux pays en Europe : la Suisse, l’Italie, Chypre, la Grèce, la République tchèque, la Roumanie, la Hongrie ou la Lettonie s’opposent, pour l’heure, à l’adoption du Nutriscore.